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Sites sacrés et forêts d’épineux

Des plantes aux allures d’extra-terrestres, des caméléons, des lémuriens, des tombes royales et un très vieux figuier sacré — la forêt de Sakoantovo à Madagascar est tout à fait extraordinaire. Une nouvelle approche de la conservation, combinant les pratiques traditionnelles et une gestion moderne — contrairement à l’usage habituel qui veut protéger la nature en créant des parcs nationaux d’où les populations locales sont exclues – devrait aider cette superbe forêt à survivre. La forêt de Sakoantovo, à Madagascar, est extraordinaire. De faméliques tubes verts couverts d’épines poussent le long d’arbres géants surmontés de toupets de feuilles semblables à des aiguilles. Des baobabs ramassés aux troncs rebondis se dressent aux côtés de masses enchevêtrées de grosses branches épineuses. Et au-dessus de cette collection de plantes à l’allure étrange, un ciel bleu, lumineux ; en dessous, le sable rouge. Si l’on s’aventure un peu plus loin, la forêt sèche à épineux cède graduellement la place à une forêt riveraine qui pousse le long d’un cours d’eau. Ici, la forêt semble plus familière. Les tamariniers dominent, mais on voit aussi des figuiers et d’autres plantes. On a une incroyable sensation de sérénité ; le calme n’est troublé que par le chant occasionnel d’un oiseau ou le doux grognement des lémurs. La population locale, les Mahafaly, sait depuis longtemps que cette forêt est spéciale — pour ces personnes, la forêt est sacrée. « Cette forêt est l’endroit où nos ancêtres sont enterrés, » raconte Evoriraza, qui vit dans un village proche avec sa femme et ses deux enfants. « Il y a un arbre sacré au milieu de la forêt ; on ne peut pas le toucher. Il y a aussi des animaux sacrés, comme des tortues, des lémurs et des oiseaux. Il est interdit, fady comme on dit ici, de les chasser. Certains animaux sont comme des esprits, ou des fantômes, et ils peuvent vous faire du mal si vous transgressez les interdits. » L’arbre sacré est un énorme figuier dont on pense qu’il a plus de mille ans. Ses racines enchevêtrées et son tronc robuste sortent tout droit du « Seigneur des anneaux ». A proximité, on voit deux anciens monticules de pierres ; ce sont les tombes de la famille royale des Mahafaly. « Il y a très longtemps, vivait un roi qui avait quatre enfants, trois garçons et une fille, » poursuit Evoriraza. « Le roi divisa son territoire entre ses quatre enfants. Mais la fille jura de ne jamais quitter cet endroit. Elle disait qu’elle ne voudrait jamais s’en aller à la recherche d’un époux, comme le voulait la coutume, et que si un homme tombait amoureux d’elle, il devrait venir vivre à cet endroit-là. Elle a fini par mourir célibataire et c’est pourquoi elle est enterrée ici. » Pour un naturaliste aussi, la forêt de Sakoantovo est très particulière. « Cet endroit est un exemple parfait de zone de transition, » explique Mark Fenn, responsable au WWF de la partie sud de Madagascar, et un expert des écosystèmes de la région. "Le long du cours d’eau, vous trouvez une forêt riveraine, où la végétation pompe l’eau du sol. Mais cette forêt riveraine est adjacente à une forêt sèche d’épineux, où des plantes succulentes stockent l’eau. Vous avez donc une forêt qui consomme de l’eau juste à côté d’une forêt qui en stocke. » La forêt riveraine est particulièrement importante pour la faune sauvage unique de Madagascar — des caméléons, des lémurs et des tortues que l’on ne trouve nulle part ailleurs. « Les forêts riveraines sont riches en espèces, » ajoute Mark Fenn. « Les tamariniers, en particulier, sont importants pour les primates, les reptiles, les amphibiens et les oiseaux. C’est pourquoi on trouve une telle densité de faune sauvage ici. » Il reste très peu de forêts riveraines à Madagascar. La quatrième plus grande île du monde a perdu au moins 80% de son couvert forestier original — dont plus de la moitié au cours des cent dernières années. La principale cause est la coupe illégale d’arbres, pour le bois de feu, le charbon de bois et la culture du riz. La pratique du tavy — une forme traditionnelle de culture sur brûlis qui consiste à couper la forêt pour cultiver du riz — pose un problème particulier. Les Malgaches sont les plus gros consommateurs de riz dans le monde; ils en mangent en moyenne un demi kilo par jour. Comme la population est en augmentation, la forêt de Madagascar disparaît à un rythme alarmant. Les forêts sacrées ne font pas exception. « Les forêts sacrées du sud de Madagascar deviennent de plus en plus petites parce que les gens cultivent tout autour, » souligne Marc Fenn. « Ce qui était jadis une forêt sacrée peut n’être plus qu’un petit îlot de végétation autour d’une tombe ou bien un arbre qui abrite les esprits. » Les pratiques traditionnelles — qui, dans le passé, ont aidé à protéger la faune sauvage — se perdent elles aussi. Madagascar est une des parties du monde les plus désavantagées au point de vue économique, et son climat n’est pas toujours favorable à l’agriculture. Lorsque les gens doivent manger, le tabou qui s’applique à la chasse de certaines espèces peut être levé. La forêt sert déjà de pharmacie pour les locaux ; en période de famine, elle devient en plus le centre d’alimentation. « Beaucoup de gens font des choses illégales, mais c’est parce qu’ils y sont obligés, » estime Avimary, un prince Mahafaly. « Ils sont obligés de couper des arbres pour faire du charbon de bois, de façon à gagner leur vie et avoir de quoi nourrir leurs enfants. Couper des arbres est quelque chose qu’ils ne font pas de gaieté de cœur. » L’irruption du monde moderne à Madagascar affecte aussi les pratiques traditionnelles. « Certains jeunes ignorent la loi et le message des anciens, » ajoute Avimary. Mais la forêt de Sakoantovo pourrait nous montrer comment changer ce triste tableau. En juin de cette année, les droits de gestion de la forêt ont été juridiquement transmis du gouvernement malgache à la communauté Mahafaly locale. Ce transfert n’est pas que symbolique. Il part de l’idée que les gens qui savent le mieux comment garder la terre sont ceux qui en vivent quotidiennement. Les Mahafaly ont maintenant le pouvoir de gérer la forêt, activité avec laquelle le gouvernement a connu peu de réussite dans le passé. Les coupes de bois illégales et la récolte de plantes médicinales ont augmenté. Mais maintenant, grâce aux comités de gestion locaux, les Mahafaly se sont engagés à gérer leurs forêts sacrées de façon durable, en collaboration avec les autorités locales. Cette démarche représente un tournant significatif par rapport à l’opinion ancienne selon laquelle la meilleure façon de protéger les forêts était de créer des parcs nationaux qui excluaient les populations locales. Dans le cadre de cette nouvelle approche, les mécanismes modernes de la gestion forestière côtoient les pratiques et des croyances traditionnelles. Le WWF a célébré cette nouvelle façon de penser comme un Cadeau à la Terre, la plus haute reconnaissance de l’organisation pour un haut fait en matière de conservation. Jusqu’à présent, le concept semble bien perçu. « Je pense que c’est une excellente idée, » dit Avimary. « Si les coupes d’arbres continuent, les forêts de Madagascar seront entièrement détruites, et il ne nous restera plus qu’une terre dénudée. » Marc Fenn pense aussi que les moyens traditionnels de préserver la forêt pourraient être la solution que les environnementalistes recherchent désespérément depuis des décennies. « Une de nos principales stratégies de conservation consiste à renforcer les traditions socioculturelles, les anciennes normes sociales, qui sont favorables à l’environnement, » souligne-t-il. En effet, cette approche n’est pas vraiment nouvelle pour les Malgaches. Ils ont une expression « tontolo iainana » qui signifie « le monde qui nous concerne » — le concept de l’homme et de la nature qui vivent ensemble en harmonie. Ceci est de bonne augure pour la survie des forêts de Madagascar, ainsi que des populations locales et de leurs traditions. * Richard Hamilton est un journaliste indépendant basé à Madagascar. Plus d’informations Forêts riveraines Les forêts riveraines sont des portions de forêts adjacentes à l’eau (ruisseau, fleuve, marais ou côte) qui forment la transition entre l’environnement aquatique et le milieu terrestre. Ces forêts jouent un rôle vital dans le maintien de l’intégrité des voies d’eau et des côtes ; elles réduisent l’impact des sources de pollution situées en amont en captant, en filtrant et en recyclant les sédiments, les nutriments et les autres produits chimiques ; elles fournissent aussi de la nourriture et une protection aux poissons et à d’autres animaux sauvages. Forêts d'épineux à Madagascar Couvrant une superficie de 6,6 millions d’hectares, les forêts sèches d'épineux du sud-ouest de Madagascar constituent une des Global 200 du WWF qui regroupent les régions du globe que les scientifiques du WWF ont identifiées comme étant particulièrement importantes — voire uniques — du point de vue de la diversité biologique, et sur lesquelles le WWF concentre ses efforts. Ces forêts connaissent un fort taux d’endémisme, et les plantes succulentes et épineuses dominent dans un environnement semi-aride. Ce sont des endroits où vivent de nombreuses espèces animales, telles que les lémurs, les tortues et les mangoustes. Le travail du WWF dans les forêts d'épineux de Madagascar Le WWF est engagé dans l’écorégion de la forêt d’épineux depuis 1990. Le WWF-Madagascar veut relever les défis écologiques que pose une population croissante en répondant au besoin réel de planification pour l’utilisation des terres, en améliorant le système d’attribution et de gestion des terres, en faisant mieux comprendre l’impact des aspects socio-économiques et des préjugés contre les femmes, et en améliorant la santé et l’alphabétisation de ces dernières. Le WWF travaille avec une grande variété de partenaires, y compris les communautés locales, des ONG malgaches, des agences gouvernementales régionales et d’autres organisations internationales de développement et de conservation. La célébration du Cadeau à la Terre pour la forêt de Sakoantovo La communauté Mahafaly, les autorités locales et le gouvernement malgache se sont engagés à préserver les forêts sacrées de Sakoantovo (6'163 hectares) et ont confié la responsabilité de leur gestion à la population locale, selon un accord conclu entre le Ministère de l’Environnement, de l’Eau et des Forêts et les communautés locales, représentées par leurs chefs traditionnels. Un engagement similaire a été pris avec la communauté Tandroy voisine au sujet de la forêt sacrée de Vohimasio (30'170 ha). En juin 2003, le WWF a reconnu ces deux initiatives comme des Cadeaux à la Terre. Le WWF va continuer à travailler avec tous les partenaires pour finaliser un plan de gestion pour chaque forêt et pour garantir que les deux zones soient reconnues comme « aires protégées agréées » ou parcs provinciaux.